Les atouts et défis de l’ESS numérique en France et en Europe – Partie 1 

Cet article est un compte rendu du kick off français de la Social Good Week 2022. En effet, ce 19 septembre 2022, la dynamique française de la Social Good Week 2022 a été lancée. Après Bruxelles et Lisbonne, ce fut au tour de la capitale française de bénéficier de son événement de kickoff. Retour sur cette soirée de (re)lancement de la Social Good Week.

De HelloAsso au Social Good Accelerator

Devant une large audience, Léa Thomassin, présidente d’HelloAsso et cofondatrice historique de la Social Good Week, est revenue sur la genèse de l’événement et sur les éditions précédentes. Depuis 2010, année du premier Social Good Day en France, HelloAsso et ses amis ont réuni chaque année l’écosystème du numérique et du monde associatif pour encourager les initiatives qui placent l’innovation citoyenne au cœur de leur action. Le mouvement a rapidement pris de l’ampleur, comme en témoigne le soutien actif du Président de la République François Hollande lors de l’édition de 2014.

L’occasion fut aussi pour HelloAsso d’effectuer un passage de flambeau au Social Good Accelerator, qui reprend la charge d’organiser cet événement phare. Représenté par sa présidente Jeanne Bretécher, le SOGA a pour ambition de lancer la Social Good Week au niveau européen. Cette première édition européenne aura lieu dans plusieurs pays européens comme la France, la Belgique, le Portugal, l’Espagne ou encore l’Italie.

Les échanges se sont ensuite poursuivis autour de deux tables rondes sur les atouts et les défis de l’économie sociale et solidaire (ESS) numérique en France et en Europe. Les sujets développés lors de cette soirée ont vocation à servir d’inspiration pour les futurs événements #SGW2022, et pour en lancer la dynamique.

Table ronde n°1 : Défis de l’ESS numérique en France et en Europe

Antoine Détourné, Marion Graeffly, Emmanuel Rivat, Julie Stein et Jeanne Bretécher lors de la première table ronde du kick off France, le 19 septembre 2022 

Antoine Détourné, Marion Graeffly, Emmanuel Rivat, Julie Stein et Jeanne Bretécher lors de la première table ronde du kick off France, le 19 septembre 2022

La première table ronde a porté sur les atouts de l’ESS numérique en France et en Europe. À cet égard, Antoine Détourné, délégué général d’ESS France, a mis en avant les opportunités de développement de l’ESS numérique au niveau européen.

Il a rappelé que le plan d’action en faveur de l’économie sociale, présenté par la Commission européenne en décembre 2021, fut le fruit d’un long combat pour faire reconnaître l’ESS et tout ce qu’elle peut représenter en tant que modèle économique innovant et dynamique pour l’Union européenne (UE) et ses États membres.

Le plan d’action européen en faveur de l’économie sociale a permis de donner au secteur une place équivalente à celle des autres industries. À cet égard, les particularités de l’économie sociale ont été reconnues, à savoir sa conception non lucrative ou à lucrativité du marché, sa gouvernance démocratique forte et sa poursuite d’une utilité sociale.  Il y a moins d’un an, tout cela n’existait pas à l’échelle européenne.

A ce titre, aujourd’hui, la Commission européenne va jusqu’à reconnaître l’ESS comme un système industriel. Avec la crise du Covid, le Brexit et le sentiment général de distanciation de l’UE par rapport à la société civile, un ressenti de perte de souveraineté et de maîtrise de notre économie semble bien réel. Partant de ces constats, l’UE s’est appuyée sur l’ESS pour chercher de nouveaux modèles démocratiques et économiques apportant des réponses aux besoins de ces populations.

Pour cela, la Commission européenne a défini des écosystèmes industriels, c’est-à-dire des secteurs industriels qu’elle va soutenir en priorité. L’un d’entre eux repose sur la transition écologique et les modèles d’économie circulaire et un autre sur le numérique.

Par ailleurs, reconnaître le numérique comme écosystème industriel a été « une demie surprise », explique Antoine Détourné. En effet, placer le numérique si haut lui semble étonnant. Le secrétaire général d’ESS France trouve ambitieux de considérer le numérique comme un écosystème européen industriel, car cela implique d’une certaine manière la contestation des modèles existants, notamment ceux des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). De plus, cela implique la volonté de faire émerger une souveraineté numérique européenne, ce qui d’une certaine mesure revient à contester la souveraineté purement nationale des États membres sur ce sujet. Au regard de ces enjeux, un espace européen s’ouvre clairement pour l’ESS numérique.

« J’ai le sentiment que dans l’écosystème ESS les enjeux européens sur le numérique sont encore trop méconnus. Dans l’écosystème Tech for good, il y a vraiment de quoi s’approprier les choses. Le pire serait que cette porte ouverte se referme car pas assez de gens n’y sont rentrés. » 

Antoine Détourné, Délégué général d’ESS France

Les communs numériques, des outils prometteurs

Suite à ce message plein d’optimisme d’Antoine Détourné, Emmanuel Rivat, directeur de l’Agence Phare, spécialisée dans la mesure d’impact et dans la recherche et le développement social, s’est exprimé sur les communs numériques. Il a souligné la nouveauté que ces modèles représentent. Il a également appuyé sur le nécessaire besoin d’articuler le développement des communs numériques avec une logique de plaidoyer au niveau européen.

Les communs numériques peuvent être illustrés notoirement par l’exemple de Wikipédia. En effet, ce mouvement repose sur une communauté de contributrices et de contributeurs gérée par une association, qu’est Wikimédia France. De nombreux projets comme les Wikicommons regroupent une banque d’images de plus 93 millions de fichiers. Sur Wikipédia, des ressources libres et gratuites animées par une communauté bénévole sont accessibles au grand public. Le commun numérique existe donc grâce à une communauté active qui les alimentent et qui définit horizontalement elle-même ses règles. Les ressources créées par les communs sont libres, gratuites et non rivales. En d’autres termes, elles ne retirent pas de valeur ajoutée à la production faite par d’autres lorsqu’elles sont utilisées. Ces ressources sont aussi non-exclusives, c’est-à-dire que leur droit d’usage est collectif : tout le monde peut s’en servir.

« Ce mode de fonctionnement est très transformateur par rapport à une logique de concurrence organisée et systémique »

Emmanuel Rivat, Directeur de l’Agence Phare

La question des communs numériques est à ce titre prometteuse, d’autant plus au regard de leur utilisation très large, tant par le grand public que par des entreprises d’intérêt public.

Néanmoins, ces initiatives prometteuses soulignent tout un ensemble de questions auxquelles il faut répondre au niveau européen, a-t-il poursuivi. Comment l’UE finance les communs numériques ? Les règles européennes sont-elles adaptées aux communs ? Et, surtout, alors même que l’UE peine à se constituer un véritable modèle numérique alternatif face à ceux des GAFAM et des BATX, quel est le rôle de l’UE dans le développement des communs numériques ?

Dans un rapport récent porté par l’ambassadeur au numérique Henri Verdier, la présidence française de l’UE a proposé quatre solutions, que le Social Good Accelerator avait analysées dans cet article. La première est la création d’un guichet unique pour se renseigner sur les financements qui existent. Mais en réalité, cette proposition est limitée car les financements des communs sont quasi-inexistants. La plupart des financements sont à destination des projets ou des structures mais il y a peu de financements collectifs.

La deuxième proposition est de créer un appel à projet européen pour financer les communs numériques. « C’est un piège dans le sens où l’on veut du collectif et pourtant on propose un financement à destination de porteurs de projets. On utilise les vieux mots, les vieilles recettes pour soutenir quelque chose de totalement novateur », a appuyé Emmanuel Rivat.

La troisième proposition serait de créer une fondation pour diversifier les financements.

Enfin, la quatrième proposition serait de faire « un commun numérique par défaut ». L’idée ici est de faire en sorte que les administrations publiques s’emparent des communs. Toutefois, cela pose des questions relatives à la définition d’un dialogue entre ESS et administrations publiques, et à son contrôle.

« À mon sens, il faut toujours articuler le développement des communs avec une logique de plaidoyer. Si j’avais un message à faire passer ce serait qu’à chaque fois que vous échangez avec des collectivités territoriales, des services de l’Etat, il faut toujours avoir la même question en tête : comment j’aide à faire évoluer les règles ? »

Emmanuel Rivat, Directeur de l’Agence Phare

Qu’en retenir à ce stade ?

La première table-ronde de ce kickoff de la Social Good Week a permis de dresser bien des constats. Bien que la route semble encore longue, l’ESS numérique européenne est certainement en cours de construction et aura une place notable à prendre dans la construction des politiques publiques de demain. Les communs numériques constituent un potentiel de développements encore trop peu exploités, et c’est aux acteurs de tous les écosystèmes de construire ce futur pour que les communs deviennent la norme.

Le modèle numérique européen solidaire, durable et accessible, peut devenir la troisième voie portée par l’Union européenne face aux modèles des GAFAM et au modèle chinois, si elle s’en donne les moyens. C’est avec une grande conviction que le Social Good Accelerator et les acteurs de la Social Good Week œuvrent au quotidien pour faire reconnaître ce modèle en défendant une ESS numérique durable.

La partie 2 de cet article sort la semaine prochaine. Nous y évoquerons la collaboration entre le public et le privé, les enjeux d’inclusion numérique dans les territoires, la sobriété numérique et les défis qui attendent l’ESS numérique à savoir la transformation numérique des acteurs de l’ESS, l’attraction des talents ou encore les enjeux juridiques autour de ce nouveau monde.

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