Les défis de l’ESS numérique en France et en Europe

Cet article est un compte rendu du kick off français de la Social Good Week 2022. Il est la dernière partie de deux articles traitant des atouts de l’ESS numérique en France et en Europe. Le premier article est revenu sur l’opportunité européenne de développement de l’ESS numérique et l’opportunité que représentent les communs numériques. Le second article a traité d’éducation numérique, d’inclusion numérique et d’un exemple de modèle alternatif durable que permet de proposer l’ESS numérique.

Accompagner la transition numérique des acteurs de l’ESS 

Guillaume Jasson gère le Fantastique bazar, une agence numérique de l’ESS, de la Tech for good qui accompagne les associations françaises dans leur transformation numérique. 

« Il y a des défis numériques de deux natures en ce qui concerne la transition numérique des associations françaises : un défi culturel et un défi économique. »

Le défi culturel est lié au fait que dans l’ensemble, les personnes qui travaillent dans les associations n’ont pas un grand intérêt pour le numérique. La transition numérique n’est pas la principale priorité des associations. Une association va préférer investir de l’argent dans des postes de dépense plus directs. Cela nous mène au défi économique car ce manque d’intérêt est lié au budget des associations et à leur mode de financement.

“Aujourd’hui, on ne finance globalement pas la transformation numérique des associations, la transition numérique étant considérée comme du fonctionnel. On finance des projets.” 

Sur la question des financements, l’État ne finance pas en tant que tel le numérique explique Guillaume Jasson. Il y a des emprunts possibles pour la transformation numérique des TPE et PME. L’Union européenne de son côté est trop lointaine pour les associations. Les défis aujourd’hui sont assez importants : une acculturation des acteurs associatifs qui intègrent le numérique dans leur plan stratégique et la montée en compétence numérique de ces acteurs.

 

Attirer les talents vers une Tech responsable

Chez Latitudes, notre constat est qu’il y a de nombreux talents dans la Tech mais ils ne sont pas tous engagés au service de l’intérêt général, explique Martie Adèle Elebe, responsable du Tech for Good Challenge chez LatitudesNotre souhait est une Tech engagée au service de l’humain. Une Tech engagée parce que la Tech est partout et doit intégrer les questions socio environnementales et une Tech responsable parce que les métiers de la Tech doivent prendre en compte l’éthique. La question est donc comment attire-t-on ces talents de la Tech vers une Tech engagée et responsable ?

Selon une étude de 2020 qui recense les raisons pour lesquelles les personnes se dirigent vers les métiers de la Tech. Le sens et l’impact figurent en 6e position et la diversité est encore plus bas dans le classement. Pour amener ces personnes là vers une Tech engagée, Latitudes prend le parti de leur montrer que leur compétences ont un impact réel.

« Ces personnes ont un réel intérêt pour la Tech : open data, enseignement, environnement etc. Nous allons donc leur proposer des programmes et système de mentorat. Nous proposons par exemple à ces personnes de prendre 1 heure pour conseiller des associations. Et cette expérience leur est bénéfique, elle valorise leur compétence et apporte de la valeur ajoutée aux associations. »

« L’idée de nos programmes est d’attraper les talents par leur appétence et leur compétence.”

En ce moment, nous avons un nouveau programme, le Tech for good challenge : 30 jours, 30 défis. Pendant 30 jours des personnes vont être mises au défi d’utiliser la Tech pour l’intérêt général. Les défis peuvent être très rapides à effectuer et légers ou un peu plus poussés : cela va par exemple de la signature d’une pétition à la participation à une fresque du numérique. 

Guillaume Jasson, Guilhem Pradalié, Marie Adèle Elebe et Jérôme Giusti lors de la seconde table ronde du kick off France, le 19 septembre 2022

Agir pour l’inclusion numérique au niveau français et européen

Guilhem Pradalié est le Directeur Général de la MedNum. La MedNum est une coopérative qui rassemble une grande partie des acteurs de l’inclusion numérique et de la médiation numérique en France.  

Guilhem Pradalié nous explique que la MedNum s’est beaucoup intéressée aux questions de compétence numérique. Nous avons 13 millions, ou 14 millions selon les chiffres, de personnes complètement exclues du numérique dont 4 millions parce qu’ils n’ont pas accès au réseau et l’autre partie car ils se déclarent incapables. Nous essayons d’agir pour ces personnes-là en aidant les personnes qui aident numériquement, le financent et s’engagent pour l’inclusion numérique. 

“Pour les acteurs de l’ESS, cette question d’inclusion numérique est assez nouvelle. Nous nous engageons avec le SOGA sur les référentiels de compétences numériques à destination de ces acteurs.”

La DG connect de la Commission européenne a beaucoup travaillé sur la questions des compétences numériques. Il y a déjà des référentiels qui existent au niveau européen et qu’il faut adapter.

“Le sujet de l’acquisition de ces compétences numériques ne doit pas se résumer à une question technique. C’est aussi une question politique et culturelle. Le défi est de penser son activité et son rôle pour développer les compétences numériques.” 

Avec le SOGA, nous souhaitons porter un modèle numérique européen durable, social et inclusif. Le rapport Desi, porté par la Commission européenne, classe les organisations selon leur maturité numérique. Sur les compétences numériques, pour 2030, l’objectif est d’atteindre 80% de personnes ayant les compétences numériques de base. En France, aujourd’hui, 56% de personnes maîtrisent les compétences numériques de base. Il y a donc une dynamique intéressante côté Europe avec des outils dont il faut se servir. 

Construire un système juridique adapté à l’ESS numérique 

Enfin, Jérôme Giusti, avocat au Barreau de Paris, Co-directeur de l’Observatoire justice et sécurité à la Fondation Jean Jaurès et cofondateur de Metalaw, est revenu sur les enjeux juridiques de l’ESS numérique. 

Jérôme Giusti a d’abord rebondi sur l’intervention d’Antoine Détourné (voir partie 1) qui évoque la fenêtre d’opportunité européenne importante pour l’ESS numérique. Jérôme Giusti confirme cette analyse : les institutions européennes s’intéressent désormais à l’ESS numérique. Pour preuve, le Parlement européen a rendu un rapport en février 2022 qui exhorte la Commission européenne à prendre une directive pour instituer une association européenne, tout comme il existe déjà une fondation européenne instituée depuis de nombreuses années. Une association européenne serait un grand pas en avant pour l’ESS européenne. Le Parlement européen encourage également la Commission européenne à prendre un règlement européen qui reviendrait sur la notion de lucrativité. 

Jérôme Giusti est ensuite revenu sur les communs numériques.

“En tant qu’avocat spécialiste de la propriété intellectuelle depuis 25 ans, je peux vous dire que le droit des communs n’existe pas. Nous y travaillons. Il faut fonder ce droit des communs pour promouvoir, protéger et développer ces communs”

Ce chantier est porté en partie par l’ambassadeur au numérique français Henri Verdier qui a annoncé vouloir fonder une fondation européenne sur les communs numériques. 

Ayant plaidé contre Uber récemment, Jérôme Giusti défend la coopération contre l’ubérisation. C’est un travail de plaidoyer et d’influence. D’ailleurs, le coopérativisme de plateforme est l’une des thématiques de la Social Good Week 2022. 

Jérôme Giusti nous explique ensuite que les grands enjeux juridiques au niveau européen sont d’abord la création d’instruments juridiques qui n’existent pas et viendraient constituer ce qui est une association européenne. Ensuite, l’un des enjeux est le lancement d’un débat sur la notion de lucrativité, notion qui en France est liée au droit fiscal (exonération fiscale attachée au principe de désintéressement). Enfin, le dernier grand défi juridique est la construction du droit des communs qui n’existe pas encore. 

Pour continuer les débats, rendez-vous du 2 au 8 novembre pour la Social Good Week 2022. Inscrivez un événement dans la programmation ou participer à un événement organisé par celles et ceux qui oeuvrent pour un numérique au service de l’intérêt général. 

Aller au contenu principal